Lyon : une ville qui façonne la solitude de ses aînés ?

28 juillet 2025

Une ville vieillissante : chiffres clés et enjeux à Lyon

Selon les chiffres de l’INSEE, la Métropole de Lyon comptait, en 2021, près de 140 000 habitants de plus de 65 ans, représentant un peu plus de 12 % de la population. Cette part est en constante augmentation : à horizon 2030, un lyonnais sur cinq aura plus de 60 ans (source : Métropole de Lyon, « Lyon, ville amie des aînés »). Dans certains arrondissements de l’est lyonnais, plus d’un quart des habitants appartiennent à cette tranche d’âge. Le vieillissement est donc une réalité marquante du tissu urbain.

Pourquoi ces données parlent-elles d’isolement ? Parce que, selon une enquête de la Fédération des centres sociaux du Rhône (2022), 1 senior lyonnais sur 3 déclare souffrir de solitude au moins une fois par semaine, et 16 % se disent isolés durablement. Ces taux augmentent dans certains quartiers dits « périphériques » ou dans les logements collectifs sociaux (source : Solitudomètre Petits Frères des Pauvres, 2021).

L’urbanisme et la fragmentation : où habite-t-on en vieillissant à Lyon ?

L’habitat des seniors lyonnais illustre la diversité – et parfois la fracture – urbaine. Plusieurs phénomènes s’entremêlent :

  • Départ des familles : Beaucoup de personnes âgées vivent dans des grands appartements vides, devenus mal adaptés, car leurs enfants sont partis en périphérie ou plus loin.
  • Surreprésentation dans les quartiers historiques : Les seniors occupent une proportion importante dans le Vieux Lyon, la Croix-Rousse, Monplaisir ou encore certains quartiers du 8e et 9e, zones où les commerces de proximité déclinent parfois.
  • Isolement en périphérie : Les politiques de peuplement ont déplacé de nombreux retraités dans les quartiers des anciennes barres d’immeubles du 8e, de la Duchère ou de Vénissieux, où les réseaux de voisinage sont plus relâchés et l’espace public moins hospitalier.

À cette mosaïque s’ajoute une réalité : plus d’1 senior sur 4 vit seul à Lyon (Atlas du vieillissement, Métropole de Lyon, 2022). L’urbanisme, en cloisonnant les groupes sociaux dans des secteurs distincts (centre animé vs périphérie résidentielle), amplifie ce sentiment de rupture.

Accessibilité, mobilités et isolement quotidien

À Lyon, ville réputée pour ses collines et sa topographie contrastée, la question de la mobilité prend un relief particulier. Les travaux de la sociologue Anne Gotman (CNRS) montrent que le simple éloignement d’une pharmacie ou d’un arrêt de bus de quelques centaines de mètres multiplie par deux le risque d’isolement ressenti chez les plus de 75 ans.

  • Transports en commun : 85 % des seniors possèdent une carte TCL, mais seuls 63 % s’en servent chaque semaine (source : Enquête Métropole 2022). L’absence d’ascenseurs dans le métro (ligne C), les trottoirs étroits et dégradés, et la rareté des bancs rendent certains quartiers quasi inaccessibles pour les personnes à mobilité réduite.
  • Déserts marchands et médicaux : À la Duchère, seulement 1 boulangerie pour 1500 habitants de plus de 70 ans (Observatoire du Commerce Lyonnais, 2022). Le manque de commerces de proximité fait obstacle aux sorties et aux rencontres spontanées.
  • Sécurité et sentiment d’appartenance : Dans les quartiers aux trafics routiers intenses, comme Perrache ou la Part-Dieu, le bruit, la circulation, l’éclairage irrégulier rendent les sorties angoissantes.

Des infrastructures mieux pensées : des effets directs sur les liens sociaux

La Ville de Lyon a expérimenté l’installation de « bancs bavards » place Jean Macé et dans certains squares du 3e. Ces bancs doublement orientés facilitent la discussion entre inconnus. Résultat : en trois mois, le taux de seniors utilisant ces espaces est passé de 24 % à 36 % selon la Mairie. Exemple qui démontre combien le mobilier urbain peut encourager (ou décourager) la socialisation spontanée.

Commerces, services et vie de quartier : une trame fragile pour le lien social

L’environnement commercial et la vitalité associative tissent un filet de sécurité autour des personnes âgées, mais ce filet s’effiloche dans certaines zones. D’après le rapport 2023 de la Chambre de Commerce de Lyon, 20 % des commerces de proximité du centre-ville (hors Presqu’île) ont fermé en dix ans, avec un pic dans les arrondissements périphériques. Or, pour beaucoup de seniors, une sortie à la boulangerie ou au marché est la seule occasion de contact social régulière.

Au-delà du commerce, la vie associative tient un rôle crucial. La Croix-Rousse et le 7e arrondissement comptent parmi les zones les plus actives, où se multiplient :

  • Les cafés de quartier (ex : Café Rosa – Guillotière)
  • Les ateliers intergénérationnels (ex : association Les Pot’iront, 7e)
  • Les visites à domicile de la Ville « Ma Ville à Moi »

Mais la fragmentation urbaine fait que ces ressources ne profitent pas également à tous les seniors.

Espaces publics : entre inclusion et invisibilité

Que ce soit aux Brotteaux, place Bellecour ou dans les parcs Berthelot et Parilly, l’observation est la même : peu de seniors dans l’espace public, sauf aux horaires de marché ou de messe. Selon le diagnostic mené par l’association Old’Up Rhône-Alpes, la peur des chutes, l’absence de toilettes ou de signalétique adaptée rendent ces lieux inhospitaliers.

  • Parcs et jardins : Présence quasi exclusive de familles et de sportifs, bancs souvent éloignés des allées principales, difficultés d’accès en transports.
  • Logements collectifs fermés : Portails automatiques, contrôles d’accès, dispositifs anti-intrusion limitent fortement les possibilités de « vie de palier » – autrefois pourvoyeuse de solidarité de voisinage.

Inversement, la piétonisation ponctuelle de certains quartiers – comme Les Pentes lors de la Fête des Lumières – favorise l’appropriation de l’espace public et les échanges intergénérationnels, même si ces occasions restent épisodiques.

Des solutions qui germent dans le terreau urbain

Face à ces constats, la mobilisation est palpable à Lyon. Quelques exemples porteurs :

  • Lieux partagés : Des projets d’habitat inclusif, comme la résidence La Baronne (8e), permettent aux personnes âgées de demeurer au cœur de la vie urbaine, tout en profitant d’activités communes et d’entraide.
  • Mobilité adaptée : Le service TCL à la demande, testé dans certains quartiers du 9e, facilite les déplacements pour les aînés isolés, avec réservation par téléphone et accompagnement personnalisé.
  • Réseaux de veille citoyenne : Des dispositifs comme Voisins Solidaires, en partenariat avec plusieurs conseils de quartier, créent des chaînes de solidarité pour la livraison des courses, la visite à domicile, etc.

Des « ambassadeurs de quartier », formés par la Ville avec les associations, recueillent régulièrement la parole des personnes âgées, font le pont avec les institutions, signalent les besoins urgents (ampoule d’escalier cassée, difficultés d’accès postal…).

Des quartiers plus « entourants » que d’autres ?

Des différences majeures existent selon les secteurs :

Quartier Indice de solitude* (%) Nombre d’associations senior Accessibilité commerces
6e (Brottesaux/Tête d’Or) 11 27 Élevée
8e (Mermoz/États-Unis) 25 11 Basse
2e/Presqu’île 8 15 Élevée
Vaulx-en-Velin (périphérique) 32 7 Moyenne

*Échantillon Petits Frères des Pauvres/Rhône, 2022

Cette variété souligne combien les politiques de revitalisation urbaine, de soutien aux associations et de développement commercial sont déterminantes pour garder les seniors « au centre » de la vie urbaine… ou non.

Comment chacun peut agir : pistes citoyennes et collectives

À Lyon, la lutte contre l’isolement des seniors ne se joue pas uniquement dans les couloirs des institutions – elle se construit dans la porosité du quotidien. Quelques gestes simples, à la portée de tous, peuvent amorcer le changement :

  • Prendre le temps d’échanger quelques mots avec les voisins âgés, au marché, dans l’ascenseur ou l’escalier.
  • S’impliquer dans le conseil de quartier ou les associations locales pour signaler des besoins d’accessibilité ou relayer les initiatives solidaires.
  • Participer ou promouvoir les journées « Rue aux enfants, rue pour tous » qui rendent l’espace public plus accueillant pour les plus âgés.
  • Sensibiliser les commerçants et prestataires de quartier à l’accueil des personnes âgées (formation, petite attention au moment du passage en caisse…).
  • Encourager la présence de « tiers-lieux » et cafés associatifs, même dans les arrondissements réputés moins dynamiques.

Vers une ville plus solidaire : Lyon, laboratoire d’initiatives

L’isolement des seniors à Lyon ne découle pas seulement du vieillissement, mais des manières de penser, de dessiner et d’habiter la ville. Si l’urbanisme a parfois accentué la solitude, il peut aussi, aujourd’hui, permettre tous les rapprochements. À l’heure où la population vieillit, Lyon devient un terrain d’expérimentation : nouvelles formes d’habitat, mobilité douce, activation des solidarités de quartier. Rendre la ville plus entourante, c’est donner à chaque senior la chance de rester acteur — et non spectateur — de sa vie urbaine.

Chaque espace partagé, chaque banc convivial, chaque rencontre de palier sont autant de remparts à la solitude. Que l’on vive sur la Presqu’île ou à Monplaisir, l’entourage solidaire dans la ville commence souvent par un pas dehors, une porte ouverte, un sourire échangé. La Lyon des aînés ne demande qu’à s’inventer chaque jour : à chacun, habitant, professionnel, élu ou simple voisin, d’y prendre sa part.

Sources : INSEE, Atlas du vieillissement – Métropole de Lyon, Petits Frères des Pauvres, Fédération des centres sociaux du Rhône, CNRS/Anne Gotman, Observatoire du Commerce Lyonnais, Chambre de Commerce de Lyon, Old’Up Rhône-Alpes, Mairie de Lyon.

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